Le désir liquidé

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Entretien paru dans Les Inrockuptibles en août 1998

Ce titre, Les Particules élémentaires, s’est-il imposé tôt ?

Oui. Il recouvre à la fois l’esprit scientifique du livre et une conception, proche de celle de Bret Easton Ellis, d’un univers social où les individus se voient comme des particules élémentaires. Du coup, il produit un peu le même effet de style que le titre de mon premier roman, Extension du domaine de la lutte, qui pouvait être lu pour le contraire de ce qu’il signifie.

Que penses-tu du qualificatif de « roman fin de siècle » que l’on peut être tenté de lui accoler ?

Je préférerais qu’on le voie comme un roman de la sortie, une tentative pour sortir des enjeux du XXe siècle, pour aborder le fond du problème religieux, la souffrance qui en découle, et certaines questions philosophiques, particulièrement la non-prise en compte de l’évolution de la science physique par la pensée.

Tu as multiplié les repérages pour l’écrire, ce que ce soit au camping mystique L’Espace du possible ou bien dans les boîtes à partouze.

Je connaissais L’Espace du possible avant. Par contre, c’est pour écrire Les Particules élémentaires que je me suis intéressé aux boîtes à partouze. Je les ai fréquentées pour me documenter, mais du coup j’y suis retourné et, finalement, je n’ai pas détesté. Je suis retourné cet été dans une des boîtes citées, Le Cléopâtre, au Cap d’Agde, et vraiment je n’aurais pas rêvé plus belle confirmation de mes thèses : ils ont installé dans l’une de leurs deux salles un écran vidéo qui diffuse des films pornos en permanence, et les gens ne font plus rien d’autre que de regarder la vidéo. C’est d’autant plus extraordinaire que, du coup, personne ne regarde les quelques couples résistants qui tentent malgré tout de faire des choses. Les gens restent là, hallucinés devant l’écran vidéo.

Tu dis que tu as fréquenté L’Espace du possible avant de songer à le décrire. C’était donc une démarche personnelle ?

Oui, oui, j’y allais pour les massages californiens, les jacuzzis, etc. Disons que j’avais une motivation hédoniste.

Ton livre a la tentation de prôner une sexualité parfaite, selon toi : des lieux de plaisir d’où toute tension désirante serait évacuée.

La mort du désir serait une très bonne chose pour le plaisir, mais, finalement, ça rate ; ça rate parce que les gens sont trop dans le spectaculaire. Ce qui ne va pas, dans ces lieux, c’est que les gens essaient de faire comme dans les films pornos.

Tu estimes plutôt que ce qui pourrait réussir serait une sorte de boîte à partouze fonctionnarisée, financée par l’État par exemple, sans aucune référence au spectacle ou à la représentation.

Excellente idée. Il faudrait la proposer à Fidel Castro : nationaliser la prostitution à Cuba donnerait une excellente source de devises et une belle idée révolutionnaire, vraiment innovante, qui pourrait sauver l’économie du pays — où les filles sont très bien.

Le désir est un état humain qui aggrave considérablement les choses et qui a pris beaucoup de place dans les sociétés humaines. Dans les sociétés anciennes, on pouvait séparer la publicité du désir. Maintenant, les deux termes sont synonymes »

Le désir est pour toi irrémédiablement lié à la souffrance. Tu situes clairement l’origine du Mal dans le désir, tant sur le plan économique que sexuel.

Je suis contre le désir insatisfait. Le Mal vient en fait de l’état de séparation, qui n’est pas lié au désir. L’animal ne connaît pas l’état de désir. Il est dans la souffrance permanente, mais cette souffrance est moins liée au désir qu’à la compétition alimentaire. Le désir est un état humain qui aggrave considérablement les choses et qui a pris beaucoup de place dans les sociétés humaines. Par ailleurs, dans les sociétés anciennes, on pouvait séparer la publicité du désir. Maintenant, les deux termes sont synonymes.

Tes deux personnages principaux, Michel et Bruno, illustrent deux extrêmes de la souffrance affective et sexuelle aujourd’hui.

Ce qui est un peu tragique, c’est que Bruno est un être de désir alors que Michel ne l’est pas, mais que ça ne va pas mieux pour le second que pour le premier − quoiqu’il soit indiscutablement mieux traité. Reste que c’est au moment où Bruno désire moins qu’il va mieux : lorsqu’il a trouvé une femme qui le satisfait. Ça pourrait baigner, mais bon… J’insiste aussi beaucoup sur la décrépitude et la mort, qui nous rejoint toujours.

Au départ de ton livre, il y a un certain nombre d’observations autobiographiques intimes.

Oui. Tout est parti de l’observation de photos de moi, jeune, entre 14 et 16 ans. Je me suis dit que j’avais bifurqué psychologiquement de manière incompréhensible.

Pourtant, les explications que tu cherches sont toutes globalisantes. Pourquoi ?

Parce que je suis mégalomane. Et parce que je pense que ce que je dis est vrai, dans l’ensemble. Un des passages les plus profonds du livre, à mon avis, est celui où Michel se demande dans quelle mesure on peut considérer Bruno comme un individu. Parce que, de toute évidence, ses idées, ses désirs n’ont rien d’individuel, ce sont les mêmes que ceux de tout le monde. Finalement, tout ce qu’il trouve comme individualité à Bruno, c’est le pourrissement physique de ses organes.

Son histoire, ses souffrances ne lui appartiennent pas ?

Non. Ce qui fonde l’individualité, c’est uniquement la mort. L’individu se définit vraiment par rapport à la mort, c’est la mort qui oblige à dépasser la sociologie. Les idées, par contre, les souffrances… Tout ça me parait explicable, en termes généraux.

« Dans un roman réaliste, la liberté doit se manifester très peu, être utilisée avec une extrême modération. Le roman est en lui-même un genre assez déterministe »

Parmi les explications générales, il y a le new-age, avec lequel tu entretiens des relations complexes, au-delà de la causticité de tes descriptions. Pour résumer brutalement, tu sembles d’accord avec le constat que dressent les idéologues du new-age mais tu juges ridicules les pratiques sur lesquelles ce constat débouche.

Oui. Toutes les utilisations de la science du XXe siècle faites jusqu’à présent par les sciences humaines sont des pitreries dénuées de sens. Je classe le new-age dans la même catégorie de gens qui, partant du constat qu’on n’y comprend plus rien, disent n’importe quoi en s’appuyant sur la certitude que, puisqu’on n’y comprend plus rien, ce n’importe quoi devient crédible.

Tu ne crains pas qu’on te retourne le même argument, avec l’utilisation romanesque que tu fais de la physique et de la biologie moléculaire ?

C’est une peur réelle. J’ai pris le risque d’envoyer le livre aux diverses autorités, prix Nobel de physique français, etc. J’espère avoir des échos rapidement. Je serai peiné s’ils me répondent que je n’ai rien compris. Je cherche l’adhésion des gens supposés être sérieux en ce domaine ; en principe, je ne me suis pas planté.

Est-ce que tu as envoyé le roman à des partouzeurs comme aux physiciens, à des fins de critique ?

Non, j’ai participé moi-même, donc… C’est mon propre vécu, j’ai la même capacité à en juger que les autres. Le problème ne se pose d’ailleurs qu’avec les physiciens. La biologie, ce n’est vrai ment pas difficile à comprendre.

Les découvertes que tu annonces sont-elles basées sur travail de documentation précis, ou bien sont-elles farfelues dans la perspective que tu dresses ?

L’idée part d’un problème véritable et vérifié : l’absence de connexion entre l’état des recherches en biologie moléculaire et l’état des recherches en physique. En principe, la biologie moléculaire est basée sur la physique, mais elle n’utilise pas du tout la physique moderne. Par contre, quand j’imagine ce qui pourrait se passer quand les deux domaines entreront en collision — ce qui est inévitable —, c’est de la science-fiction. Il se pas sera quelque chose, mais quoi ? J’invente, mais, je l’espère, sur des bases crédibles.

Tu es également très influencé par le positivisme, par Auguste Comte en particulier.

Je trouve assez courageuse cette idée de ne plus chercher que les lois des choses et de renoncer aux questions sous-jacentes. Ce qui est assez marrant, comme cela est déjà très clair chez Pascal dans le passage que je cite, où il affirme : « Il faut dire en gros : cela se fait par figure et mouvement, car cela est vrai. Mais de dire quels, et composer la machine, cela est ridicule ; car cela est inutile, et incertain, et pénible. » En somme, renoncer à toute métaphysique, mais trouver les lois qui gouvernent ce que l’on peut observer, et ensuite construire une société et des règles morales qui correspondent à ces lois. Ça, c’est le positivisme de Comte.

Que tu n’es pas loin de faire tien, ce qui entraine une soumission nécessaire aux lois naturelles qui gouvernent le monde une fois qu’elles ont été établies.

C’est vrai que c’est entièrement contraire à toute idée de démocratie. De liberté individuelle.

Et donc contraire à toute idée de désir qui serait susceptible de transgresser les lois.

C’est vrai que le désir apparait comme un élément de calcul, tout au plus. C’est à prendre en compte.

C’est tout de même un paradoxe : quelle peut être la place du roman dans cette perspective ?

On parle là de mes propres opinions, ce qui est un peu différent de ce que peuvent raconter les personnages. Disons que le personnage central est compliqué. Il part d’une conception déterministe de la vie, mais il constate à plusieurs reprises l’existence de la liberté. Je suis d’accord avec lui sur ce point, assez étrangement : je crois à la liberté. Le comportement humain me parait se caractériser par de longues périodes de déterminisme avec, parfois, des moments de liberté. Elle reste extrêmement rare. Dans un roman réaliste, elle doit se manifester très peu, être utilisée avec une extrême modération. Le roman est en lui-même un genre assez déterministe, finalement. On est très libre au moment de la définition des personnages, mais ensuite on ne peut plus en faire ce qu’on veut. On est obligé de les laisser poursuivre leur destin. Schopenhauer affirme que le caractère d’un personnage doit se développer avec l’inflexibilité d’une force naturelle. Le comportement d’un personnage doit être analogue à celui d’une pierre qui dévale une montagne. C’est une conception assez forte, presque vraie.

Pratiquement, cela veut dire que les deux biographies que tu entremêles t’ont échappé, contrairement au sentiment qu’on peut en avoir à te lire ?

Oui. Par exemple quand Christiane devient invalide, Bruno propose de la prendre chez elle, mais il hésite quelques secondes de trop à le faire. La logique veut qu’il hésite, que ça rate. Ça ne dépend pas de moi.

As-tu toi-même hésité au moment d’écrire la scène ?

Non, mais c’est un passage qui m’a désolé, que j’ai écrit contre mon gré. Pour respecter la logique du personnage.

Le personnage existerait donc indépendamment de toi, ce qui signifie en somme que tu crois à l’individualisation des personnages ?

Oui, surtout à partir d’un certain nombre de pages. Une fois que tu leur as construit un passé, une genèse, des forces élémentaires gouvernantes, tu ne peux plus faire de miracle.

Pourtant, comme tu dénies toute validité à la psychologie, tes forces élémentaires gouvernantes sont presque exclusivement sociologiques.

Elles sont aussi biologiques. Il y a du déterminisme biologique à l’état pur.

Tu as écrit dans Rester vivant qu’il ne fallait pas chercher à inventer une nouvelle forme, qu’il ne s’en invente qu’une par siècle. Il reste tout de même étonnant que tu repasses par les structures les plus classiques du roman, alors que tu cherches à prendre en compte dans la fiction la révolution scientifique actuelle.

Ça va être tout à fait prétentieux, mais je pense vraiment que ce qui manque au roman c’est le contenu. Entre Extension du domaine de la lutte et celui-là, il s’est produit un déchirement marquant lorsque j’ai lu Balzac, que je ne connaissais pas et que j’ai trouvé très beau. J’admire beaucoup Thomas Mann, mais je dirais que Balzac m’a décomplexé parce que, de temps en temps, il dit des trucs complètement cons, il fait des digressions sans arrêt et ça ne gêne pas. Thomas Mann est plus impressionnant, en fait. Il y a également une vieille influence, qui ne s’était jamais manifestée avant, c’est la science-fiction américaine entre 1945 et 1970 : vraiment des trucs gonflés, parfois bien écrits en plus.

Disons que tu te situes entre le roman philosophique et le roman réaliste, avec des incursions poétiques.

Les transitions aux passages de poésie versifiée me semblent ratées. Lorsqu’on passe des anecdotes romanesques aux développements théoriques, ça me semble fonctionner ; par contre, pour l’insertion des poèmes en vers, cette forme de montage cut ne marche pas aussi bien. Là, en relisant, je n’y crois pas trop. Il faudrait arriver à ce qu’on passe lentement de la prose au vers pour que ce soit réussi. Il y a là un vrai problème. J’aurais voulu passer librement de la prose au vers.

D’autres influences ?

Parmi les plus fortes, les plus sourdes, j’ai le souvenir d’avoir vu, très jeune, une représentation du Baladin du monde occidental de Synge. Le sentiment océanique y est extrêmement présent. Sinon, les choses auxquelles je tiens le plus, ce que je cherche en écrivant, c’est plutôt dans la musique que j’en trouve des exemples à l’exception notable de Novalis ; en tout cas, c’est plus facile expliquer par la musique. La simplicité déchirante que peut atteindre Schubert, par exemple, ce moment où l’on a subitement l’impression que les musiciens sont là et jouent le morceau ici, ce moment où tout aspect technique disparait. Pour moi, c’est vraiment le truc de l’art en général.

Finalement, tu ne prends pas en compte le XXe siècle, ni sa littérature, ni ses philosophes, ni même son histoire. Ce n’est pas un peu gênant quand on veut comme toi dresser l’état du monde aujourd’hui ?

Je crois parfaitement inutile, en examinant un mouvement historique, de revenir deux générations en arrière. La génération immédiatement précédente suffit, puisque tout s’accumule. Par ailleurs, l’histoire du monde moderne commence en 1945. La génération intéressante et étonnante dans ce siècle est celle de nos parents, étonnante par l’optimisme qu’elle a manifesté, qui n’existait pas avant et qui ne s’est pas revu, sa croyance au progrès tout à fait étrange. La structure du couple a une importance exceptionnelle dans la génération de nos parents. Une importance qu’elle n’a jamais eue avant, qu’elle n’aura plus jamais. J’essaie de décrire cela dans le passage le plus marxiste du livre, de manière amusante, du moins je l’espère, avec le passage sur l’âge d’or du sentiment amoureux.

Parmi tes nombreuses nostalgies, il y a une mention spéciale pour Staline. Michel, le personnage qui va faire la découverte scientifique révolutionnant l’humanité, s’appelle Djerzinski, du nom d’un des pires acteurs des procès de Moscou. C’est de la provocation ?

Non. Au départ, je voulais un nom polonais. En fait, on m’a souvent pris pour un Polonais quand j’ai voyagé en Pologne. On me l’a signalée, cette référence stalinienne. Et je dois dire que j’ai trouvé ça plutôt bien : c’est un personnage assez sympathique ; rajouter une petite couche stalinienne, ça peut lui donner une aura positive… Bon, c’est vrai, j’aime bien Staline (rires)… Mais je reconnais qu’il s’est planté. Auguste Comte l’avait prévenu : tenter de fonder une société sans résoudre le problème religieux, ce n’est même pas la peine d’essayer. Il aurait complètement désapprouvé l’idée d’essayer de reconstruire une société juste en se fondant exclusivement sur les structures économiques. Par ailleurs, l’idée de faire « du passé table rase » est étrangère au principe même du positivisme.

Pourquoi Staline, alors ?

Parce qu’il a tué plein d’anarchistes (rires)… Parce qu’il a été assez sévère également avec les trotskistes, deux mesures nécessaires pour éviter les déviations dangereuses. Je pense égale ment que l’histoire rendra justice à Georges Marchais, à son appréciation fine et contradictoire, selon laquelle « le bilan de l’URSS est globalement positif » résumé rapide, mais qui me parait juste. Je conviens que des excès ont été commis. Mais on est gaussé un peu vite du même Marchais quand il a fait observer modestement, sans approuver entièrement l’intervention soviétique en Afghanistan, que l’URSS apportait néanmoins le progrès à une civilisation moyenâgeuse. Il suffit de voir ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan pour constater qu’il n’avait pas tout à fait tort.

« Je crois parfaitement inutile, en examinant un mouvement historique, de revenir deux générations en arrière. La génération immédiatement précédente suffit, puisque tout s’accumule »

On a également l’impression qu’il y a chez tes personnages qu’elles sont vieillissantes ou atteintes par une maladie, une sorte de répugnance vis-à-vis des femmes, sauf lors quelque chose qui va les conduire à la mort.

C’est faux : Annabelle, par exemple, est décrite comme parfaitement désirable.

Mais elle meurt.

Il est vrai que la vie a fait son œuvre et lentement détruit toutes les capacités de réplication de ses organes.

C’est toi qui as fait ton œuvre !

Non, c’est comme ça. C’est objectivement vrai. C’est absolument frappant de voir des femmes de 40 ans qui ont peur de se reproduire, et qui ont raison d’avoir peur, mais qui sont toujours vachement bien.

En tout cas, tous tes personnages féminins ont une étonnante aptitude à la décrépitude et au malheur.

Ce qui me frappe, c’est plutôt que les hommes ne sont pas à la hauteur. Donc une excellente solution au problème social serait d’enlever aux hommes une liberté excessive dont ils font un usage globalement mauvais, pour instaurer une bienveillante direction matriarcale. Vous n’avez pas remarqué à quel point le phénomène de la disparition des pères est absolument universel ? Ce n’est pas limité à la bourgeoisie occidentale ; ça se trouve autant dans les ghettos noirs américains qu’en Thaïlande ou à Cuba. C’est un phénomène mondialement impressionnant. Ce sont les magazines féminins qui sont dans le vrai : finalement, les hommes sont des êtres indiscutablement dangereux, à l’utilité de plus en plus douteuse. La femme est moins corrompue, statistiquement.

Cela peut rejoindre le discours du new-age.

C’est un des éléments à mon avis récupérables dans le new-age. Une de mes ambitions est de retourner le new-age en ma faveur. C’est mon côté mégalomane, on ratisse large : je prends les staliniens, le new-age.

Tout ce qui va plus ou moins contre la liberté individuelle…

Exactement. Tout ennemi de la liberté individuelle peut devenir un allié objectif. Je n’ai qu’un ennemi : le libertaire, le libéral. Le libertaire est un libéral en puissance, avec quelques cas particulièrement horribles, comme le sataniste ou l’écologiste radical.

Cet écologiste radical est-il forcément un homme ?

Non, certaines femmes sont malheureusement sensibles aux sirènes de l’écologie. La femme mal guidée peut basculer vers l’écologisme radical. Mais la femme en situation de matriarcat retrouvera vite ses esprits.

Surtout si elle est conseillée par quelqu’un comme toi.

Oh, je disparaitrai, je n’aurai fait que tracer la route, humble ment. Non, tout ça doit s’arranger très gentiment.

« Tout ennemi de la liberté individuelle peut devenir un allié objectif. Je n’ai qu’un ennemi : le libertaire, le libéral. Le libertaire est un libéral en puissance, avec quelques cas particulièrement horribles, comme le sataniste ou l’écologiste radical »

Tu partages aussi les théories d’Aldous Huxley telles qu’elles sont exposées dans ton roman ?

Je suis absolument d’accord avec la conclusion finale de Michel sur le fait que Le Meilleur des Mondes ne se produira jamais ; Huxley s’est finalement trompé. Il ne s’agit pas de le regretter, de regretter ce qui aurait pu advenir. La situation est ce qu’elle est. Sans religion, ça ne marchera jamais, le meilleur des mondes. La religion, c’est important. Mais j’ai été fortement impressionné par Le Meilleur des Mondes. Ça me paraissait tellement juste. Le reste de l’œuvre de Huxley est mauvais. Ce n’est pas un bon écrivain. Les personnages n’ont pas d’épaisseur, le style n’est pas brillant non plus. Mais en écrivant Le Meilleur des Mondes, il a mis le doigt sur quelque chose d’extrêmement important, pour les raisons que j’explique dans le livre. Personne au monde n’était aussi documenté sur la biologie que lui au moment où il a écrit ce livre.

Dans l’épilogue, ton narrateur parle de « cette espèce torturée, contradictoire, individualiste et querelleuse, d’un égoïsme illimité, parfois capable d’explosions de violence inouïes, mais qui ne cessa jamais pourtant de croire à la bonté et à l’amour ». On retrouve ici la compassion que tu dis éprouver pour tes personnages.

L’homme est une espèce nulle qui a beaucoup de défauts, mais quelques aspirations. Cela dit, c’est quelque chose de vraiment important pour moi, cette situation de l’humanité comme une possibilité parmi d’autres. Comme lorsque Kant tient absolument à définir la morale, mais ne veut pas le faire par rapport à l’homme, mais par rapport à toute créature raisonnable. Lovecraft aussi m’a beaucoup impressionné pour ça, pour son côté archéologue. Ce sont quelques-uns des trucs les plus importants dans ma vie de lecteur. Pour moi, la littérature doit poser ce genre de questions, sinon elle m’intéresse moins. Il faut que ce soit brûlant à chaque page.

Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe à dénoncer l’avortement tout en prônant le clonage, ce qui rend immédiatement caduque l’ontologie classique ?

Non. Il faut vraiment revenir aux bases de la morale. Tuer quelqu’un, c’est mal. Par contre, le reproduire à plusieurs exemplaires, je ne vois pas en quoi cela est mal. Mais le clonage n’est pas une idée que je défends particulièrement. C’est pour ça que je fais intervenir à la fin ce personnage différent, brouillon, « agitateur d’idées » qui prétend utiliser les découvertes de Djerzinski et dont il est précisé qu’il ne les a pas entièrement comprises. Moi-même, je n’ai pas de position précise. J’ai plus de facilité à repérer les problèmes douloureux qu’à les résoudre ; c’est pour ça que j’écris des romans.