Le rock est ma culture

Le rock est ma culture

Rock littéraire. Mêler la poésie et le rock. Tel est le pari osé de l’écrivain Michel Houellebecq qui vient de se produire aux Folies Pigalle où l’on a pu entendre les chansons de son premier album Présence humaine. Après le Printemps de Bourges, l’auteur des Particules élémentaires continue d’écumer les petites salles. Manière originale d’investir la société du spectacle en inventant une nouvelle forme de chanson française.

C’est dit. La poésie est soluble dans le rock. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter l’écrivain Michel Houellebecq, qui, en ce moment, revisite quelques-uns de ses anciens textes à la lumière d’une pop électronique signée Bertrand Burgalat. Après sa prestation au Printemps de Bourges, le concert qu’il vient de donner aux Folies Pigalle — cabaret parisien voué au strip-tease masculin — a révélé un homme sensible, émouvant dans la manière triste et lointaine qu’il a d’être sur scène, scandant un » rap mou » face à un public avide de ses paroles. Un homme bien dans ses habits de rocker d’un jour. L’occasion de faire le point avec le très controversé auteur des Particules élémentaires , dont le premier album Présence humaine vient de sortir.

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Entretien paru dans L’Humanité le 25 mai 2000

Ça fait quoi de se produire aux Folies Pigalle, temple du sexe parisien ?

Maintenant, c’est pire, c’est le strip-tease masculin. Je n’aime pas trop Pigalle et ses boîtes où on sent une arnaque un peu factice. C’est boire des coups. Le corps féminin était déjà marchand, que le corps masculin le devienne ne me réjouit pas. C’est un progrès vers l’égalité, certes, mais une égalisation par les mecs… Sinon, il y a le côté rouge capitonné, les lumières tamisées. Je crois que ça m’amuserait de jouer à la Comédie Française. J’aime les lieux un peu curieux.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure musicale et littéraire

J’y étais assez préparé par le fait que j’ai souvent fait des lectures en public, des lectures pures, sans autres artifices, ainsi que des lectures avec des musiques plus ou moins improvisées. Du jazz. Il m’arrivait de jouer ainsi de ma voix, pas chanter, mais moduler. J’ai commencé comme ça. Pendant, à peu près dix ans, je n’ai rien publié. Je lisais mes poèmes dans différents cadres : cercles privés, bibliothèques. Pour moi, c’est logique. La pratique de la lecture ne s’est jamais vraiment perdue dans le milieu poétique. Depuis que je publie, il m’arrive de faire quelques lectures par an.

Est-ce une manière de donner une autre dimension à vos textes ?

Ça les révèle normalement. Je fais partie d’un courant de poésie qui est fait pour être lu. À une époque où l’on était plus habitué aux vers, il était moins nécessaire de les lire parce que les gens avaient en eux-mêmes leur musique intérieure. Aujourd’hui, c’est plus difficile à faire passer, si on né les lit pas à haute voix.

Que croyez-vous que les gens viennent chercher chez vous ?

Il me semble que ce qu’ils viennent chercher est lié à la nature de la poésie. On se demande comment celui qui l’écrit la dirait.

Vous ne considérez donc pas la chanson comme un » art mineur » pour paraphraser Gainsbourg ?

Elle peut devenir mineur si on formate trop. Je ne crois pas que ce soit le cas à l’heure actuelle. Hormis, peut — être les clips qui obligent à un formatage.

Quels sont vos interprètes de chevet ?

J’ai toujours beaucoup aimé Neil Young. Il a été une de mes premières idoles.

Votre spectacle est très rock. Pourquoi ce choix précisément ?

Pour la plupart des textes, c’est plutôt naturel de les mettre sur du rock. À l’inverse, il y a des poèmes qui ne supportent aucune musique. J’aime bien le rock : ça correspond à mon âge. Ce n’est pas un genre dans lequel je me sens mal à l’aise.

Que vous évoque l’univers de Bertrand Burgalat ?

Je ne l’ai pas choisi. C’est un ami. Au départ, il m’a donné un nombre suffisant de morceaux pour que nous jugions que ça valait la peine d’essayer. Son univers évoque une partie de ma culture. J’apprécie son côté anglais. Il y a un pan quasiment folk qui peut rappeler Dylan que j’adore, même si je n’ai pas la voix pour ça. Miossec m’a demandé certains poèmes que j’avais écrits. J’ai dit oui. Je ne sais pas ce qu’il va en faire. Quoiqu’il en soit, ces textes, je n’aurais pas pu les interpréter moi-même.

Y a-t-il eu d’autres romanciers lisant des textes sur un fond rock ?

Philippe Djian l’a fait. Le dernier qui a été interprète aussi, c’est Boris Vian. La collaboration entre la poésie et la musique ne s’est jamais vraiment arrêtée. Il y a eu des chansons de Sartre, Modiano… Ça a toujours un peu existé.

Comment vous sentez-vous sur scène ?

Pas très bien.

Il faut du culot pour se produire ainsi devant un public ?

Je dirai qu’il faut de la bonne volonté. Cela peut suffire surtout quand on n’est pas au point, ce qui est le cas. Nous n’avons pas beaucoup répété avec le groupe. C’est ce qui rend les choses un peu uniques.

Et après un concert ?

On est dans un état de légère euphorie. Il y a un délassement des jambes…

Vous avez un style » parlé » plutôt que » chanté « . C’est du » rap mou ” dites-vous.

Ça, c’est le qualificatif de Bertrand (Burgalat). Je suis d’accord. Quelqu’un a dit assez justement que je scandais. Ce n’est pas parlé, pas chanté. Le mot » scander » sonne bien. C’est vrai qu’il y a une scansion.

C’est snob que de venir écouter du Houellebecq ?

Disons que si on n’est pas snob, on n’aura pas connaissance de l’événement.

Vous êtes donc quelqu’un de » branché » ?

Sûrement oui. Je n’ai rien à reprocher aux médias » branchés « . Ils m’ont beaucoup aidé ! (rires)

Que pensent vos anciens ennemis des Particules élémentaires de votre parenthèse musicale ?

On ne se parle plus. Mais quelle importance ? Ce qui serait beaucoup plus grave, c’est si mes anciens amis poètes n’aimaient pas, qu’ils jugent que ce n’est pas de la poésie. Mon attitude ne me paraît pas complètement excentrique.

Pourquoi êtes-vous si triste : c’est une armure, une façon de vous protéger ?

Que je sois triste est bien possible. Je suis fondamentalement cyclothymique, c’est-à-dire que j’ai de longues périodes de tristesse entrecoupées de moments d’euphorie.

Vous vous aimez en poète rock ?

Plus qu’en troubadour. Le rock généralement, je ne peux même pas en penser quelque chose : c’est mon univers naturel. Il me le rend bien.

Pourquoi dites-vous des choses si graves (Bosnie, etc.) de manière si lointaines ? Vous n’avez pas envie de vous révolter ?

Pas forcément. L’album fait référence à une situation de mois d’août. Quand il se passe des événements au cours de l’été, on les ressent comme demi réels. Ils sont couverts bizarrement, les gens sont en vacances. C’est un sentiment curieux. Imaginez que la France déclare la guerre dans le Golfe au mois d’août, ça nous semblerait loin, pas véridique.

Quel est le sens du combat (titre de l’un de ses ouvrages) du Houellebecq d’aujourd’hui ?

(Long silence…) Ma démarche n’est pas sociale. Ces derniers temps, j’ai exploré des domaines tournés vers l’esthétisme. C’est quelque chose qui ressemble à la quête du beau.

Heureux de ce qui vous arrive ?

Assez, oui. Finalement, écrivain, c’est très généraliste. On peut être philosophe et faire des concerts rock. Le bonheur, c’est peut-être ça : ne pas penser au temps.